Rillettes, people et adrénaline. Récit d’un drôle de week-end au Mans pour le grand retour (et la victoire) de Ford.
J’aime le sport automobile. J’ai déjà arpenté à plusieurs reprises les pistes et paddocks de F1, que ce soit en course ou en essais privés, et j’ai même eu l’occasion de prendre quelquefois le volant d’un bolide en tant que concurrent dans quelques courses fort excitantes (mais pas en F1, hein).
Mais c’était la première fois que je me rendais aux 24 Heures du Mans, alors que je me souviens de ma passion pour cette épreuve mythique quand je suivais, éberlué, les exploits des Jacky Ickx, Pedro Rodriguez et autres Gérard Larrousse sur l’écran noir et blanc de la télé familiale du haut de ma plus petite enfance. Aussi loin que puissent remonter mes souvenirs, un mot sonne pour moi comme l’incarnation du sport auto et de cette course. Ce mot, c’est Ford GT40.
Inutile de vous dire que quand Ford m’a proposé à assister à l’édition 2016, qui est également celle de son retour dans la Sarthe et celle de l’anniversaire de sa première victoire au Mans, je n’ai pas hésité longtemps, d’autant que vu le climat qui règne actuellement je n’avais pas piscine.
Ford Ferrari, comme au bon vieux temps
Gâtés nous fûmes également par l’incroyable scénario que nous a offert cette édition, probablement l’une des plus palpitantes qu’il nous ait été donné de voir, aux dires mêmes des super spécialistes et autres vieux routiers du Mans, qui pourtant en ont vu d’autres. Voyez plutôt : Ford, pour son retour (en catégorie GTE Pro), place ses 4 voitures dans les 5 premières sur la grille de départ, et s’offre la pôle position en cerise sur le gâteau de rillettes. Autre fait saillant qui claque comme un clin d’œil parfait à l’histoire : la lutte Ford – Ferrari qui dure pratiquement toute la course, jusqu’à cette sortie de la belle italienne quatre heures avant de franchir le drapeau à damier, qui dégage quelque peu l’horizon de l’américaine et enlève un tout petit peu de pression des épaules des pilotes, permettant à Ford – avec Sébastien Bourdais – de remporter une victoire déjà historique un demi-siècle pile après sa première en 1966, et de mettre deux voitures sur le podium. Enfin, pas besoin de vous raconter ce final homérique qui est entré direct dans la légende du Mans avec l’abandon dramatique de la Toyota de tête dans le dernier tour et la victoire à l’arraché de Porsche, magnifique et modeste vainqueur.
Je ne crois pas au hasard ni à la malchance en sport auto : si Ford gagne devant Ferrari et si Porsche gagne devant Toyota, c’est qu’ils ont été meilleurs, point-barre. C’est toute la raison d’être de l’endurance : le vainqueur est celui qui franchit la ligne d’arrivée après 24 heures de course, pas 18 heures ni 23 heures et 57 minutes. C’est terriblement cruel mais c’est ce qui donne sa beauté dramatique à ce sport, et je suis certain que malgré sa tristesse infinie, le staff Toyota ne me contredirait pas, et celui de Ferrari non plus.
Histoires de courses
Ce qu’il y a de bien avec Le Mans c’est qu’il y a plusieurs courses en une, et que chacun peut se faire son petit menu gourmand en fonction de ses goûts et affinités : tu préfères les protos, à toi le LMP1 et LMP2, tu préfères les voitures de série, à toi la catégorie GT. Et si tu préfères la bière, les frites et le rock, j’ai aussi quelque-chose pour toi. Quant au dispositif Ford, il a aussi permis d’écrire de belles petites histoires dans la grande, celle avec un H.
Bien sûr, vu l’invitation de Ford et l’histoire personnelle de la marque dans ce grand barnum aux effluves d’adrénaline et de gomme brûlée, mon attention a été plus particulièrement focalisée sur les performances des GT (que l’on ne peut malheureusement plus appeler GT40 pour des questions de droits m’a-t-on dit). Bon, peut-être que mon jugement mon objectivité sont inconsciemment faussés par le fait que j’ai passé une bonne partie de la course dans les stands, les loges et l’hospitality Ford, mais outre les performances, j’ai été estomaqué par la beauté sauvage à couper le souffle des GT 2016 dans leur livrée de course, qui déclenchait en moi une sorte d’émotion à chaque vision, un truc de l’ordre de la Madeleine de Prost (pardon, de Proust), quand je jouais avec mes NOREV GT40 bleu ciel et orange sur le tapis du salon sous l’œil bienveillant de mes parents qui s’étonnaient de ma passion très précoce pour les bagnoles, de ville et de course. J’avais déjà découvert en vrai la GT au salon de Detroit 2016, mais le blanc nacré dans lequel elle était présentée m’avait quelque-peu laissé sur ma faim. Les gars, un pur-sang comme ça ne s’habille pas de blanc. Car c’est bien avec sa vraie tenue de course aux couleurs du Chip Ganassi Racing qu’elle est la plus belle. Ou peut-être dans ce gris sombre métallisé « carbone » dans lequel un exemplaire de la voiture dans sa version civile a fait son apparition tranquille dans le parc dynamique du Mans devant nos yeux ébahis, comme en témoignent les photos et vidéos ci-dessous. En attendant d’en voir enfin une dans sa vraie teinte Ford bleu profond qui envoie vraiment des watts et du rêve.
Ce machin sauvage doit être juste dingue à conduire, pardon, à piloter. (message personnel) Fabrice JE VEUX L’ESSAYER, même juste un tour de circuit, débrouille-toi ! (fin du message personnel)
La parade des gens heureux
Autre particularité du Mans, ses fameuses parades. Cette année, l’organisation avait mis les petits pneus dans les grands pour accueillir le grand retour de Ford, et mis à disposition le circuit pour une parade juste avant la pré-grille et la course, autrement dit un tour de circuit relativement rapide pour faire coucou à la foule venue en masse. Un moment magique, pour des tas de raisons. Tout d’abord, par la présence de nombreux membres de différents clubs GT, dont l’ineffable Francis Breitman, président-fondateur de l’European GT Club, un distingué rassemblement de gentlemen-drivers quelque-peu fortunés et passionnés d’automobile, qui présentent cette particularité rare d’être les heureux propriétaires de magnifiques Ford GT40 dans leur version « réédition » des années 2005-2006. Il y en avait une bonne vingtaine ce week-end, venues de toute l’Europe et même d’ailleurs puisque j’ai au moins repéré une plaque US dans l’escadrille. Une balade dans le parc fermé de la parade avait réellement quelque-chose de magique. Les voitures sont dans un état neuf, briquées et bichonnées à souhait, et affichent seulement quelques milliers de kilomètres au compteur. Je peux vous dire que ceux qui se sont fait doubler par ces engins ultra-plats et bas (plus qu’une Lambo) au rugissement si caractéristique sur les routes d’Europe pendant la semaine précédant la course doivent encore s’en souvenir.
Mais ce n’est pas tout, ne partez pas tout de suite. Ford nous avait concocté une autre petite surprise en nous invitant à prendre part à la parade ! A côté des GT40 étaient sagement et impeccablement alignées une nuée de Focus RS d’un côté et autant de superbes Mustang de l’autre. Chacun des invités était alors convié à choisir « sa » voiture pour le tour de circuit de la parade, prendre un casque, suivre un rapide briefing et à embarquer dans le bolide sélectionné. Pour moi ce fut donc une Mustang GT V8 Fastback (what else ?) dans laquelle je tentais de fixer fiévreusement et de façon totalement improvisée mon iPhone pour faire vivre ce moment unique à mes amis via un Facebook Live. La vache, ce moment ! Les GT sont parties en premier, puis les Focus, et nous fermions la marche en Mustang. Le rythme du tour était relativement pépère mais l’essentiel n’était pas là. Non l’essentiel c’était d’être sur ce p… de morceau de bitume totalement mythique de 13 kilomètres de développement JUSTE AVANT LA COURSE, et de voir la foule nous saluer dans une ambiance joyeuse et bon enfant comme seul Le Mans est peut-être capable d’en connaitre encore dans la course auto. L’arrivée au début de la célèbre et terrifiante ligne droite des Hunaudières restera un moment dingue, un frisson indescriptible, quand tu devines au loin la chicane, puis le bout du bout, là-bas très loin dans la brume, et que tu te dis que des barjots tapaient encore il n’y a pas si longtemps plus de 400 km/h en pointe dans des conditions de sécurité qui n’étaient pas celles d’aujourd’hui, au long d’une portion étonnamment étroite entre les rails. D’ailleurs, il faut encore aujourd’hui un gros cœur pour débouler ici à près de 350 km/h par tous temps, la nuit et sur une piste parfois encombrée par des concurrents qui vous rendent facilement 50 km/h. Personnellement j’ai laissé le gars devant moi partir un peu et j’ai réussi à accrocher un petit 200 avant que tout ce petit monde ne ralentisse sous les ordres de la voiture ouvreuse et transforme notre cortège en docile chenille. Ce tour restera immanquablement un moment inoubliable dans ma vie de pilote en herbe.
Sébastien Bourdais, gentleman driver
Il y a quelques rencontres qui comptent. A l’occasion du Grand Prix de Monaco 2013, nous avions eu la chance de diner en comité très privé avec Nico Rosberg le samedi soir après les qualifications à l’invitation de BlackBerry (sponsor de Mercedes F1) alors qu’il venait de claquer la pôle, la veille de sa victoire. Un gars très sympathique et simple, qui nous racontait en se marrant sa qualif dans le détail, virage par virage, nous confiant en aparté qu’il avait merdé dans la gestion de son KERS et qu’il avait touché au virage de la Rascasse mais qu’apparemment personne n’avait rien vu.
La rencontre de Sébastien Bourdais fut du même acabit, avec en plus ce petit supplément d’âme et d’humanité qu’on trouve peut-être plus difficilement en F1. Invité à nous rejoindre à table vendredi soir avec son épouse, aussi tranquilles et charmants l’un que l’autre, il nous a raconté sa vie aux US où il vit et court dans le championnat Indycar, la F1 américaine, et où il est devenu une star du sport auto en étant le seul pilote de l’histoire à remporter la compétition quatre saisons d’affilée. Le gars, natif du Mans, et qui courait donc à la maison sur Ford GT, rayonne de simplicité, d’intelligence et d’humour. Son émotion, ses larmes après l’arrivée, alors que les télévisions s’approchaient de lui pour recueillir ses premiers mots de vainqueur a profondément touché tous les observateurs présents. Gagner chez lui, pour la première fois, au volant d’une voiture dont la marque a écrit un grand morceau de la légende du Mans, avait effectivement de quoi vous faire un peu chavirer le cœur. Un grand bonhomme, assurément, que j’aurais toujours rêvé de voir au volant d’une bonne F1, histoire de leur montrer qui c’est Raoul.
Le mans, the place to be
Un dernier mot en forme de séquence people. Le Mans est toujours resté un must de la course automobile à travers les âges, et son pouvoir de fascination – notamment auprès des américains – ne se dément pas au fil des éditions. J’ai un tuyau pour vous : si vous voulez voir et côtoyer du people, du vrai du lourd (comprendre : pas Nabilla), mi-juin ce n’est pas à L.A., Ibiza ou Saint-Tropez qu’il faut être, mais au Mans. De ce point de vue, le cru 2016 fut exceptionnel puisque furent présents sur la course et dans ses coulisses rien moins que Keanu Reeves (qui passait tranquille devant ma Mustang lors du retour au parking après la parade), Jason Statham, Patrick Dempsey (un habitué, lui-même pilote de talent), Jackie Chan et mister Brad Pitt en personne, sur lequel je suis tombé nez à nez en sortant de la loge Ford, et qui donna le départ de la course (la photo est mauvaise car j’ai à peine eu le temps de dégainer mon iPhone et pas pu faire la mise au point).
Ce retour à la compétition de haut niveau sur piste de Ford a ravi ses fans et a visiblement enthousiasmé le public présent et dans une certaine mesure les médias. Au-delà de cette épreuve mythique, voir un constructeur américain proposer une supercar n’ayant pas grand chose à envier aux meilleurs européennes a quelque-chose de rafraichissant. Reste à connaitre le verdict des premiers essais, sur route et sur circuit, pour savoir enfin ce que cette GT version 2016 a vraiment dans les tripes.
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5 commentaires
Un rêve de gosse se réalise, bravo et enfoiré j’en meurs d’envie…
en 1979, on avait recu ce qu’on appelait l’EDF de F1 aux Arcs
L’école de ski m’avait alloué la compagnie de Jean Pierre Jarier surnomé godasse de plomb
Sur le télésiège on parlait bagnole, 3 semaines après je recevais une invitation pour le GP de France dans le stand Ligier…
A Chamonix, je tourne libre sur le circuit de glace des 24 h de Cham avec la 2 CV
un mec parle avec moi c’est le moniteur
Il m’amène tourner avec lui il est sympa…
8 ans après il est champion Formule 3000 puis rentre chez Tyrrell, le moniteur du circuit de Cham était Jean Alesi…
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Article très sympa! Je connaissais Presse-citron pour son côté techo et je découvre ce joli texte et cette passion pour l’auto… Le mans c’est magique et cela se voit dans ce long résumé, bravo 🙂
Merci !